Crise dans les CHSLD : la main-d’œuvre ignorée

PAR TATIANA VUKOBRAT

Physiothérapeute dans un Groupe de médecine familiale de la région de Montréal.

Lettre d’opinion suite à l’appel à l’aide du gouvernement de François Legault aux médecins spécialistes pour prêter main-forte aux infirmières et aux préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD.

 

« Je vous demande un effort spécial. On a besoin de vous autres! », le cri du coeur adressé aux médecins spécialistes cette semaine par le gouvernement Legault a finalement trouvé écho. Près de 2 000 spécialistes se sont mobilisés pour venir en soutien au personnel soignant des CHSLD. Mais pourquoi eux? Comme plusieurs, je remarque que de nombreux professionnels sont ignorés. Depuis quand la santé de toute une population devrait-elle être portée sur les seules épaules de nos médecins?

Ce n’est pas le fait de demander aux médecins spécialistes de venir porter secours qui me dérange. Au contraire, tout le monde doit participer à cet effort collectif. Chaque « ange gardien » du réseau a son rôle à jouer devant le diable surnommé COVID-19.

Ce n’est pas non plus le fait que la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) ait négocié une tarification de pandémie qui m’agace. Sur la question, je pense qu’il est maladroit de parler de rémunération en temps de crise et on détourne le regard de l’enjeu principal : celui de trouver les bonnes personnes pour arriver à sortir du gouffre dans lequel s’enfoncent les milieux de vie de nos plus vulnérables durement frappés par l’épidémie.

Ce qui me scandalise, c’est de voir que le gouvernement a sous son nez des milliers de professionnels possédant une formation en santé aptes à soutenir le réseau, mais il les ignore! Faut-il rappeler que le milieu de la santé n’est pas composé que de médecins et d’infirmières, il y a aussi des physiothérapeutes, des ergothérapeutes, des nutritionnistes, des technologues et j’en passe beaucoup d’autres! C’est la collaboration entre ces les intervenants qui nous rend efficaces, en temps de crise ou pas.

Dans l’angle mort, on est là!

Mes collègues professionnels de toutes disciplines confondues (secteur privé et public) ont levé la main pour aider, ça représente une montagne de ressources… INEXPLOITÉES. C’est gros! Pourquoi ne pas les appeler au renfort? D’où vient le besoin d’escalader l’appel à l’aide jusqu’aux médecins spécialistes (ou encore l’armée…) et risquer de compromettre la reprise des soins médicaux spécialisés. Ce que je veux dire ici, c’est que les spécialistes, même s’ils sont des joueurs clés pour notre réseau de la santé ne devraient pas, dans un scénario logique, être les premiers choix au repêchage pour venir scorer des buts dans les CHSLD. C’est inefficient.

Un bon nombre de professionnels de la santé, autres que nos précieux médecins ou infirmières, sont aussi capables de s’occuper de notre population plus âgée. Plus près de moi, je donne l’exemple de plusieurs collègues en physiothérapie qui ont vu leurs activités normales réduites en raison des mesures de distanciation et qui ont manifesté leurs disponibilités. Beaucoup de disponibilité. À ce jour, ils attendent toujours un appel. À cet effet, l’Association québécoise de la physiothérapie a fait parvenir une lettre au ministre de la Santé et tient un registre de ces personnes. Toujours pas de réponse… Dois-je rappeler que cette main-d’œuvre oubliée possède les connaissances, les compétences et les formations requises pour apporter son soutien. Dans un milieu de soins de longue durée, ce groupe de professionnels peut : évaluer la condition physique et les risques de déconditionnement; aider à maintenir un niveau d’activité quotidien; prévenir certaines complications; assurer des déplacements sécuritaires; diminuer les risques de chutes; répondre aux besoins d’une clientèle gériatrique isolée et surtout faire preuve d’entraide et de solidarité interdisciplinaire en accomplissant toute autre tâche jugée essentielle en temps de crise humanitaire pour maintenir le bien-être de la personne en perte d’autonomie. Bref, être un intervenant en santé comme un autre.

Alors, M. François Legault et Mme Danielle McCann, pourquoi ignorez-vous les autres professionnels de la santé? Avez-vous vraiment épuisé toutes vos banques de personnel pour déjà vous adresser aux médecins spécialistes? Pourquoi ne pas consulter les autres regroupements professionnels? Vous y trouverez des solutions pragmatiques pour gérer efficacement cette crise. Et je vous en prie, protégez plutôt l’expertise de nos médecins spécialistes pour élaborer un plan de relance des traitements suspendus en raison de la pandémie, comme c’est le cas pour de nombreux patients atteints du cancer. Poursuivez votre engagement électoral d’améliorer l’accès à ces soins spécialisés. Pendant ce temps, les autres professionnels de la santé aideront à garder le phare dans les CHSLD.