La physiothérapie permet de croire en l’impossible #AQPartage

Cet article a été publié durant le mois national de la physiothérapie. L’AQP tient à remercier la physiothérapeute Annabelle Rancourt d’avoir partagé son histoire.

Je suis physiothérapeute depuis maintenant presque 12 ans. J’ai toujours œuvré dans le même centre de réadaptation auprès de diverses clientèles, mais toujours avec des gens ayant eu de gros traumatismes (blessures orthopédiques graves, grands brûlés, amputés et TCCL). Depuis les 4 dernières années, j’ai pu développer mes aptitudes auprès des amputés. J’ai eu la chance d’aller faire une formation avec Robert Gailey à Toronto, une sommité en la matière. Lorsque je suis revenue de cette formation, j’ai vu la réadaptation des amputés d’une façon bien différente.

J’ai débuté au même moment le suivi d’un amputé fémoral. Je vais le nommer monsieur X pour les besoins de la cause. Monsieur a été victime d’un accident de moto en 2015. Pour cet homme, la moto signifiait tout. Très humble, il a toujours travaillé dans son petit garage à remonter des motos, acheter/vendre des pièces, à collectionner des pièces anciennes de motos, faire de longues promenades avec sa femme derrière qui s’accrochait à lui. Tout juste avant l’accident cette dernière venait de terminer un combat contre un cancer en plus d’avoir la sclérose en plaque. Enfin, ils allaient pouvoir reprendre leurs activités quand cet accident est survenu pour Monsieur X. Maintenant amputé fémoral, c’est lui qui devait entamer un combat. Il devait réapprendre à marcher et réapprendre à vivre avec cet handicap.

Lorsque j’ai vu monsieur X pour la première fois il m’a demandé: “Est-ce que je vais pouvoir refaire de la moto? La moto c’est ma vie”. Je lui ai alors expliqué qu’il y avait énormément d’étapes à franchir. Je lui ai aussi expliqué qu’au Québec, les amputés fémoraux qui refont de la moto, c’est de la moto à 3 roues, car les genoux ne permettent pas d’être sécuritaire et de soutenir le poids d’une moto. Il y a peut-être une exception et c’est avec un genou intelligent à microprocesseur. Toutefois, ce genou est très dispendieux et même encore. Il faut être très bon et fort. J’ai vu dans son visage un certain découragement et me faire des signes de non. Pour lui, faire de la moto c’était à 2 roues ou rien d’autre.

Nous avons donc entamé la réadaptation ensemble. Monsieur X est un homme très travaillant. Il faisait ses exercices sans cesse, il se trouvait toujours un moyen pour pratiquer chez lui ce dont on avait pratiqué ensemble. Il se faisait ses propres obstacles, des circuits d’agilités, etc. Je ne sais pas pourquoi, mais avec cet homme, je suis restée accroché au fait que pour lui, la moto c’était sa vie!

En collaboration avec notre physiatre, les prothésistes, la psychologue ainsi que l’ergothérapeute, nous avons fait des démarches dès le départ pour obtenir un genou à microprocesseur auprès de la SAAQ. Je me disais que c’était le seul moyen pour que monsieur puisse peut-être espérer refaire de la moto à 2 roues un jour. Finalement, après plusieurs mois, nous avons eu l’autorisation de la SAAQ pour que monsieur puisse bénéficier d’un genou à microprocesseur. C’était un premier combat de réussi. Nous avons alors fait l’essai de plusieurs types de genou et finalement son choix s’est arrêté sur le genou GENIUM.

Mais le travail ne s’arrêtait pas là. Il fallait maintenant qu’il réussisse son test de moto. Au Québec, des mises en situation sont faites à l’intérieur puis, si le candidat les réussit, il va passer les tests sur la route. Par le passé, j’avais déjà eu des amputés fémoraux qui avaient tenté de passer le test, mais ils l’avaient tous échoué à la même étape, soit celle de tomber du côté amputé, le genou fléchi, et de tenter de supporter le poids de la moto avec le côté amputé. Tous les genoux ne permettent pas cela et “flanche” sous le poids. Dans ces cas, le client se voit octroyer un permis de moto à 3 roues seulement. Toutefois, avec la prothèse de monsieur X il y avait une possibilité, mais personne ne l’avait tenté auparavant. Le jour J est finalement arrivé. Je me rappelle avoir été stressée pour mon patient, car j’espérais tellement que monsieur X passe les tests et puisse reprendre son activité qui le passionnait le plus au monde. Cette journée-là, je me souviens d’avoir vérifié mes messages sur mon répondeur du bureau plusieurs fois afin de voir si monsieur me donnerait des nouvelles. Cependant rien…

C’est seulement la semaine suivante que je revoyais monsieur X. Il s’est alors présenté devant moi et m’a simplement dit: “T’as le premier amputé fémoral à conduire une moto à 2 roues au Québec”.

Voilà ce qui fait de la physiothérapie le plus beau métier du monde! Il faut croire en ses rêves, il faut permettre aux gens de réaliser les leurs et surtout, surtout, croire en l’impossible.