Sept chantiers pour l’accès aux soins de première ligne

Article de Geoffrey Dirat paru dans le journal Profession Santé le 29 novembre 2021

Observateur critique de l’évolution du système de santé québécois, le chercheur André-Pierre Contandriopoulos estime qu’il faut entreprendre des changements importants si l’on veut offrir un accès rapide, équitable et sécuritaire à des services de qualité en première
ligne.

 

Le professeur André-Pierre Contandriopoulos s’inspire du rapport Castonguay-Nepveu pour réorganiser la première ligne.

«Les soins de proximité devraient être la clé de voute du système de santé et de services sociaux.» Ce postulat, le professeur émérite de l’École de santé publique de l’Université de Montréal ne le sort pas de son chapeau. «C’est l’idée centrale du rapport de la Commission Castonguay-Nepveu qui a ensuite été remise de l’avant par toutes les commissions d’enquête sur les services de santé qui se sont succédé depuis», observe André-Pierre Contandriopoulos. Selon lui, les enjeux d’accessibilité sont donc connus et reconnus depuis le début des années 70, tout comme le sont les solutions pour y remédier, «mais paradoxalement, on n’a rien fait en ce sens ces 50 dernières années par manque de courage de politique et parce que la profession médicale n’est pas favorable à ces réformes.»

Ceci dit, le professeur identifie sept chantiers, interdépendants et à mener de manière coordonnée, dont la finalité serait d’assurer «de façon efficiente et sécuritaire un accès libre et équitable à des services de santé de qualité.»
Revue de détail.

Renforcer les fondations du système public de santé

«C’est la base», affirme André-Pierre Contandriopoulos qui ne cache pas son jupon en faveur d’un service public de la santé fort. Sur le plan symbolique, il plaide pour une Charte des droits à la santé et à l’accès universel à des soins de qualité qui reconnaitrait la responsabilité de l’État à cet égard. Il milite également pour un renforcement du financement public du système de soins, à travers un
dialogue entre le fédéral et les provinces. «Sans ce financement, on ne fera rien.»

Créer des réseaux intégrés de soins de proximité

En matière d’accessibilité, «les pays qui réussissent le mieux, ou le moins mal, ont créé des liens étroits entre les municipalités et les soins de proximité, comme en Scandinavie, souligne le chercheur. Or au Québec, le réseau de la santé est déconnecté des municipalités et des MRC, il n’a pas de sensibilité locale.» Dans sa vision, cette sensibilité est indispensable pour répondre aux besoins de la population sur un territoire donné, au sein de réseaux intégrés de soins de proximité où différents professionnels de la santé travaillant en équipe pourraient s’organiser en fonction de ces besoins spécifiques. «Les patients y seraient accueillis sans délai, écoutés et reconnus dans leur singularité. L’équipe serait alors responsable de diagnostiquer les problèmes de santé, d’obtenir les consultations nécessaires, de coordonner la prise en charge et les soins, d’orienter les personnes dans le système de santé et de les suivre par la suite.»

Revoir la rémunération des médecins

Cette réorganisation des soins mise sur le travail en équipe et une collaboration renforcée entre
médecins, infirmières, travailleurs sociaux, etc. «Ce travail coopératif est délicat quand un médecin gagne six à sept fois plus qu’une infirmière», considère le professeur émérite qui prône une adaptation des modes de rémunération des médecins en général, et des omnipraticiens en
particulier. «La rémunération à l’acte entraîne des comportements naturels qui limitent la délégation d’activités», constate-t-il en recommandant que les médecins de famille soient payés au temps passé à répondre aux besoins des patients. «Cela leur permettrait de ne pas être préoccupés par le nombre d’actes posés, et par le tarif de ces actes, tout en valorisant leurs responsabilités professionnelles et l’intérêt de la coopération avec les autres professionnels.»

Repenser la prise en charge de la dépendance

À l’unisson de ses pairs, André-Pierre Contandriopoulos considère que la pandémie a mis en lumière, de manière abrupte, «le manque de cohérence et le manque de ressources affecté aux soins à domicile, aux CHSLD, aux aides pour les proches aidants. Elle a aussi montré que
l’articulation entre les résidences privées pour personnes âgées et les ressources publiques était
insuffisante.» Dans un souci d’équité, il considère que la prise en charge de la dépendance ne devrait relever que du service public et que celle-ci doit s’articuler avec les réseaux de soins
de proximité.

Remodeler la formation

Ce chantier-là implique autant les ordres professionnels, les fédérations médicales et les syndicats que les universités et les cégeps. Le but: «s’assurer que les compétences de tous les professionnels — médecins, pharmaciens, infirmières, sages-femmes, travailleurs sociaux et autres — soient mises à contribution de façon optimale lors de la prise en charge des patients». Cela passe par une refonte
de la formation initiale et continue de manière à accroitre la confiance mutuelle entre les différents
professionnels. «Ils doivent aussi comprendre qu’ils ne sont pas des électrons libres, mais bien des acteurs sociaux pratiquant dans des organisations complexes, au service de la population», ajoute le chercheur.

Instaurer une assurance-médicaments publique et universelle

«Il ne peut y avoir d’universalité des soins sans une assurance-médicaments digne de ce nom», proclame André-Pierre Contandriopoulos qui juge que le partage actuel entre les secteurs
public et privé n’est pas optimal. Ce régime d’assurance-médicaments serait public et universel et viendrait en complément de l’assurance-hospitalisation et de l’assurance médicale. «Idéalement, il faudrait que ce soit un programme à frais partagés entre le gouvernement fédéral et les provinces», précise le professeur en signalant qu’un tel programme permettrait de mieux contrôler la hausse des coûts des médicaments.

Constituer un «BAPE de la santé»

À l’instar du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) qui se prononce en amont sur les projets ayant des impacts écologiques, le chercheur souhaite que toutes les politiques publiques soient analysées, avant leur adoption, à travers le prisme de la santé afin d’en évaluer les
conséquences sanitaires et sociales. Cet examen serait assuré par un organisme indépendant qui aurait également le mandat de rendre compte, au gouvernement ainsi qu’à la population, de la performance des réseaux de soins de proximité et du système de santé dans son ensemble.
«Cela nous permettrait de savoir ce qui fonctionne ou pas, et à quel coût,afin de faire des ajustements en conséquence», indique André-Pierre Contandriopoulos.